mardi 10 mai 2022

Aux sources de l'éthique N°11

Qui a dit : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ».

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L’être humain doit être considéré comme une fin en soi. Comment comprendre cette proposition d’Emmanuel Kant. Le mot « fin » s’oppose au mot moyen. On peut donc dire que l’être humain ne doit pas être considéré comme un moyen, comme un instrument : un  être humain qui vendrait un de ses reins se considèrerait comme un instrument et un être humain qui achèterait un rein à une autre personne la considèrerait comme un instrument. Dans ces deux cas la personne perd sa valeur absolue et elle n’est plus à elle-même sa propre fin. En d’autres termes elle ne compte plus pour elle-même, pour ce qu’elle est, mais seulement pour ce à quoi elle sert.

Pourtant Emmanuel Kant a formulé cet impératif de la manière suivante : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen »[1]. Kant rappelle donc d’abord que chaque personne est représentative de l’humanité tout entière, y compris sa propre personne. Par ailleurs on oublie souvent de rappeler que Kant n’exclut pas qu’une personne puisse être traitée comme un moyen à condition toutefois qu’elle soit aussi traitée comme une fin en soi. Cela exige que l’instrumentalisation d’une personne ne compromette pas sa valeur absolue, celle d’être une fin en soi. Cette valeur absolue tient donc dans sa dignité qui est coextensive à toute personne humaine et qui disait Kant est unique, irremplaçable et au-dessus de tout prix. Il s’ensuit donc que certaines modalités d’instrumentalisation des personnes annulent du même coup sa dignité comme, dans l’exemple précédent, la vente d’organes. Cette instrumentalisation s’est hélas exprimée de manière massive dans les expérimentations humaines pratiquées dans les camps de concentration nazis mais aussi dans certaines expérimentations pratiquées dans des démocraties libérales et qui avaient été dénoncées par Beecher dans un article paru en 1966 dans le New England Journal of Medicine[2]. Mais la vie sociale implique des missions diverses nécessaires pour organiser la vie commune. L’ébéniste qui fabrique un meuble, le boulanger qui fait du pain, le maçon qui construit la maison, le professionnel de santé qui dispense des soins sont à leur manière des instruments au service d’autrui : qu’ils agissent bénévolement ou qu’ils soient rétribués n’affectent pourtant pas leur dignité ni le fait d’être une fin en soi. Ces personnes qui servent Autrui, et dont on peut même considérer qu’elles servent à Autrui ne sont pas pour autant asservies. Ces personnes qui tirent bénéfice des compétences d’autrui le font sans les asservir[3]. Mais on pressent aussi qu’une conception plus haute du règne des fins inclinerait les êtres humains à une prise de conscience des services rendus les uns aux autres et ainsi à se reconnaître interdépendants et solidaires dans le vivre ensemble inséparable de l’humanité. Si les êtres humains peuvent être des instruments, ils doivent être des instruments au service de l’humanité comme acteurs de fraternité. Et c’est alors qu’ils conservent leur dignité.

En effet ces missions exercées au service des autres procèdent d’une volonté autonome, celle qui est capable de faire sienne ce que Kant appelle la législation universelle, donc les règles qu’impose la loi morale et qui dès lors fait des êtres humains des personnes libres, des personnes autonomes. Et c’est quand les êtres humains se rallient à cette autonomie, c’est quand les êtres humains se donnent eux-mêmes leurs propres lois qu’ils se considèrent et considèrent toute personne comme une fin en soi, ce qui est la condition même de leur dignité. L’être humain attente à la dignité de la personne humaine quand il se laisse asservir par des contraintes : en achetant des organes, en vendant un de ses reins, il n’est en réalité pas autonome : sa volonté déroge à la loi morale ; il devient en fait hétéronome. La personne autonome, parce qu’elle fait sienne la législation universelle devient elle-même de par sa volonté l’auteur de cette législation qui considère que tous les êtres humains sont une fin en soi. Et c’est ainsi que la personne autonome « tisse des liens » avec tous les êtres raisonnables qui ensemble construisent ce que Kant appelait le règne des fins[4] qui devient ainsi le garant du respect l’égale dignité de chacune et de chacun.



[1] Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. par Victor Delbos (Paris: Librairie Delagrave, 1991).
[2] H. K. Beecher, « Ethics and Clinical Research », The New England Journal of Medicine 274, no 24 (16 juin 1966): 1354‑60, https://doi.org/10.1056/NEJM196606162742405.
[3] Distinction proposée par Victor Delbos dans ses notes et notamment la note 133 de l’ouvrage cité en note1.
[4] Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs.

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