jeudi 21 septembre 2023

Éditorial de Roger Gil

Dans le bulletin d'information de France Alzheimer Vienne

A l'occasion du bulletin d'information de septembre de France Alzheimer Vienne, le professeur Roger Gil s'exprime sur l'importance de la visite auprès des proches, sujet de son dernier ouvrage "dis tu reviendras ? Redécouvrir le sens de la visite aux proches âgés ".

" La pandémie a imposé en mars 2020 des mesures sanitaires destinées à contenir l’infection par le SARS-CoV-2, encore appelée Covid. Parmi elles la plus emblématique fut le confinement de la population qui s’est accompagné d’une suppression de toutes les visites des proches dans les établissements médico-sociaux et notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et parfois même d’un isolement en chambre. Quand ces visites purent reprendre à partir du 21 avril 2020, ce fut de manière progressive, hésitante, laborieuse et dans des conditions insolites, à l’extérieur, sous des barnums, ou à l’intérieur dans des lieux dits dédiés, segmentés par des cloisons mobiles et souvent dérisoires comme des paravents. Les visites étaient soumises aussi à des dispositions sanitaires redondantes : distanciation
physique d’au moins deux mètres altérant la perception auditive souvent déficitaire chez les personnes âgées, barrière physique en plexiglas destinée à concrétiser l’interdiction de tout contact mais déformant la vision, surveillance d’un membre du personnel destiné à prévenir toute manifestation « d’indiscipline » des proches ou des résidents et brisant, avec parfois le brouhaha ambiant, toute intimité, port du masque chirurgical imposé aux visiteurs et altérant profondément la relation au visage tout particulièrement chez les résidents âgés atteints de maladie d’Alzheimer.

La pandémie révéla alors que la suppression et l’encadrement mutilant des visites n’appelaient pas qu’à une réflexion rationnelle sur les droits et les libertés. En effet l’isolement, le sentiment d’abandon ont atteint charnellement bien des personnes vulnérables et ont entraîné des souffrances qui ont pu aller jusqu’à éteindre le désir même de vivre.

L’ouvrage intitulé « Dis, tu reviendras ? », paru aux éditions Erès, propose ainsi une redécouverte du sens éthique et anthropologique de la visite comme manifestation privilégiée de la sociabilité humaine. Il s’appuie d’abord sur le devoir de visite édicté par les grands courants religieux. Il propose ensuite un parcours des témoignages sur la fonction de reliance de la visite dans la littérature, de Balzac à Camus, de Platon à Montaigne, de Tolstoi à Houellebecq : visite et piété filiale, visites aux proches notamment âgés ou malades, aux personnes isolées, visites de fin de vie, visites des défunts et de leurs familles. On redécouvre ainsi que la visite est pour les proches un droit, un devoir mais aussi un besoin, celui de témoigner leur affection à l’égard d’une personne âgée ou malade. La visite est pour les personnes vulnérables, un droit, celui de recevoir leurs proches et d’être réconfortés par leur présence. La visite au défunt est un devoir mais aussi un besoin, celui d’une ultime rencontre qui ouvre la période du deuil.

Ce parcours appelle à une prise de conscience des multiples dimensions humaines des visites mises à mal par la pandémie. C’est ainsi que les conséquences humaines de la suppression et de l’encadrement des visites sont analysées à travers le témoignage de familles souffrantes, parfois révoltées face aux souffrances vécues par leur père, leur mère, leur grand-père, leur grand-mère, leur conjoint résidant en ehpad pendant la pandémie. Certes sont aussi envisagées les situations qui ont pu amener ça et là à des compromis éthiques qui ont pu parfois précéder l’adaptation des recommandations des autorités sanitaires comme pour les visites de fin de vie, ou le droit de « visiter » une dernière fois la personne défunte et d’apercevoir
son visage même si hélas des préoccupations hypersécuritaires retardèrent en maints endroits, sur le terrain, la mise en oeuvre des compromis nécessaires à la prise en compte et du contexte sanitaire et des souffrances humaines. Les visites apparaissent ainsi comme des besoins fondamentaux. La privation de ces besoins au-delà d’un certain seuil, variable d’une personne à l’autre, génère des souffrances pénibles, aliénantes, deshumanisantes et d’autant plus menaçantes qu’il s’agit de personnes vulnérables. L’ouvrage aborde enfin les fondements neuropsychologiques et éthiques de la relation au visage qui est au coeur
de la rencontre permise par la visite. Si les personnes autistes et malentendantes ont pu bénéficier de l’autorisation du port de masques transparents, il reste incompréhensible qu’ils n’aient pas été autorisés explicitement chez les personnes âgées en EHPAD dès lors que leurs propriétés de filtration s’avéraient analogues à celles des masques chirugicaux. Bien des souffrances inutiles auraient pu être évitées.

Par nature et culturellement, il ne faudra plus oublier que la visite manifeste la sociabilité coextensive à l’humanité et qu’elle est porteuse de significations structurantes dans l’histoire identitaire de chaque être humain qui ne devrait plus faire l’objet d’un enfermement biologique. L’expérience pandémique issue des visites et de la relation au visage illustre ce besoin lancinant d’autres lendemains plus attentifs à une vision intégrative de la vie dans ses dimensions biologiques, psychologiques, sociales et spirituelles qui fondent ensemble une éthique de la personne."

Roger Gil.

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