jeudi 29 septembre 2022

Ethique de conviction et éthique de responsabilité

Aux sources de l'éthique N°15

Qui a dit : «… Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique, peut-être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité ou selon l’éthique de la conviction… ».

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 C’est Max Weber qui avait insisté sur la distinction à opérer entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Dans son ouvrage, «Le savant et le politique », il écrivait : «… il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique, peut-être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité ou selon l’éthique de la conviction… ». Cela ne veut pas dire que l’éthique de la conviction est identique à l’absence de responsabilité, et que l’éthique de la responsabilité est identique à l’absence de conviction. « …mais,  ajoutait-il, l’opposition entre ces deux comportements éthiques est abyssale »[1]. Agir selon l’éthique de la conviction c’est agir selon son devoir. Il s’agit donc d’une éthique déontologique, fondée sur l’observance de règles morales qui, comme le voulait Kant procèdent d’un « impératif catégorique » inspiré par la conscience morale et manifestant l’autonomie d’un sujet. Car l’autonomie d’un sujet comme être doté de raison, se mesure précisément à sa capacité à mettre ses propres lois en harmonie avec une législation universelle qui doit rallier chaque homme au « règne des fins ». Ceci veut dire que tout être humain, parce qu’il a une dignité, parce qu’il n’a pas de prix, parce qu’il est supérieur à tout prix doit être considéré comme une fin en soi, et jamais simplement comme un moyen. Or écrit Kant, comme être moral, « l’homme ne peut se servir de soi …comme simple moyen physique (machine à paroles)… non lié à la fin interne (la communication des pensées) » imposant la véracité coextensive à la dignité humaine[2]. Mais peut-on toujours agir par conviction selon une morale du devoir, en se désintéressant des conséquences de ses actes ? Le partisan d’une éthique fondée exclusivement sur la conviction ne s’estimera pas comptable des conséquences de ses actes, l’essentiel étant pour lui de se cantonner dans une obéissance passive et résolue à ce qu’il identifie comme les lois de Dieu ou les lois des hommes. Ainsi Benjamin Constant avait défendu un droit de mentir par humanité[3], quand, s’en prenant à Kant, qui défendait le principe selon lequel dire la vérité est toujours un devoir, il posait le problème de savoir s’il était moralement acceptable de dire la vérité à des assassins qui vous demanderaient si votre ami, qu’ils poursuivent, n’est pas réfugié dans votre maison. Peut-on, au nom du devoir de vérité, livrer son ami à des assassins ? Et c’est ainsi que nait la prise de conscience d’une éthique de la responsabilité. Elle invite, même avec de solides convictions, à penser, à évaluer aussi les conséquences de ses actes dès lors que le sujet estime au nom de sa responsabilité, qu’il est engagé par ses actes, qu’il en est l’agent, et qu’il lui faut en répondre. L’éthique de la responsabilité est donc d’une certaine manière, une éthique conséquentialiste qui, dans une perspective téléologique, pense, anticipe et évalue les conséquences des actions. L’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité se complètent mutuellement, ce qui exige une quête difficile et questionnante entre la conviction et la responsabilité. Et c’est ainsi que l’éthique peut amener à la recherche de compromis. Respecter la vie et soulager toute souffrance. Laisser un malade Alzheimer aller et venir, ou le confiner au fauteuil pour qu’il ne chute pas. Ne pas accepter la marchandisation du corps humain et tout faire pour que de plus en plus de malades soient sauvés par des greffes d’organes. L’éthique ne va pas sans dilemme, sans questionnement, sans angoisse, sans insatisfaction, sans la quête d’un chemin de crête souvent escarpé. A l’opposé d’une morale sûre d’elle et crispée sur ses règles, l’éthique opère un travail tâtonnant de discernement entre conviction et responsabilité qui, ensemble disait Max Weber, constituent « l’homme authentique ».

©Roger Gil : Aux sources de l’éthique n°15, Ethique de conviction et éthique de responsabilité, septembre 2022.

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